Sites de rencontre : Virtuel ou réel ?

Publié le par pikkendorff

 
Un jour, un quelconque journaleux a utilisé le terme de virtuel en parlant d’Internet et des échanges qui se pratiquaient par son entremise. Sans doute trouvait-il que le terme sonnait bien, qu’il rappelait la " mémoire virtuelle " utilisée par les ordinateurs… Le seul ennui, c’est que, comme hélas trop souvent dans la corporation, il ne connaissait pas le sens précis du mot qu’il utilisait et qu’il n’a pas pris la peine de vérifier dans un bon dictionnaire. Pour lui, virtuel s’opposait à réel. Comme trop souvent aussi, ses confrères et le grand public se sont emparés du mot en validant le glissement sémantique… Et depuis lors, tout le monde se plait à donner comme acception de ce mot le sens d’inexistant, de fictif, voire de mensonger.
Et il n’est pas rare que sur les sites les internautes qualifient leurs relations de virtuelles avec une connotation péjorative.
Avant d’aller plus loin, il n’est sans doute pas inutile de revenir à la source, au sens réel du terme. Pour le Dictionnaire de l’Académie, le sens donné est celui-ci :
VIRTUEL, ELLE. adj. T. didactique. Qui est seulement en puissance et sans effet actuel. Chaleur virtuelle. Intention virtuelle.
 
Ce sens est stable depuis au moins le XVII siècle car on lit dans le Dictionnaire de L'Académie française, 1st Edition (1694) :
VIRTUEL, [virtu]elle, adj. Terme dogmatique. Il se dit de ce qui n'est point proprement & précisement une certaine chose, mais qui en a la force & la vertu. Il s'oppose à formel & à actuel.
 
Bien sûr, les esprits chagrins vont se lever en masse en rappelant que les mots vivent et changent de sens… Il n’est peut-être pas inutile de reproduire intégralement le texte de l’article du Trésor de la Langue française informatisé, du moins ne sera-t-il pas suspecté d’être trop poussiéreux…
 
VIRTUEL, -ELLE, adj. et subst. masc.

I. Adjectif
A. PHILOS. et cour
et
1. Qui possède, contient toutes les conditions essentielles à son actualisation. Synon. potentiel, en puissance; anton. actuel. Cette aperception actuelle, et non pas seulement virtuelle, de subdivisions dans l'indivisé est précisément ce que nous appelons objectivité (BERGSON, Essai donn. imm., 1889, p. 73). Les fonctions mentales restent virtuelles en l'absence d'éducation et d'un milieu où l'intelligence, le sens moral, le sens esthétique, et le sens religieux de nos ancêtres ont mis leur empreinte (CARREL, L'Homme, 1935, p. 177). V. actuel ex. 28. [En parlant d'une chose concr.] Dans le développement de l'embryon, la vésicule optique, qui vient du cerveau, et le cristallin, qui vient de la peau, s'agencent en fonction d'un œil qui est encore virtuel (CARREL, L'Homme, 1935, p. 270).LING. [P. réf. à l'oppos. saussurienne entre langue et parole] Qui n'est pas actualisé, qui relève de la langue. La linguistique post-saussurienne se donnera pour tâche d'induire, à partir d'un corpus (actuel) de faits de parole, la langue (virtuelle) qui les sous-tend (Ling. 1972). À l'opposé de l'existence actuelle, propre à l'axe syntagmatique du langage, l'existence virtuelle caractérise l'axe paradigmatique (GREIMAS-COURTÉS 1979).
2. En partic. Qui existe sans se manifester. Synon. latent. À l'état virtuel. La naissance n'est que le passage de l'état latent ou virtuel, de l'état d'essence, de l'état d'être sans manifestation (...), à l'état de manifestation, à l'état phénoménal, à l'état de nature, comme dit Apollonius. La mort n'est que le retour de l'état de manifestation à l'état latent (P. LEROUX, Humanité, 1840, p. 435).
B. P. ext. Qui est à l'état de simple possibilité ou d'éventualité. Synon. possible. (...) Voilà! voilà! À chaque voilà, une secousse de la main triomphait d'un contradicteur virtuel (MALÈGUE, Augustin, t. 2, 1933, p. 310). L'ensemble des consommateurs virtuels (Agences presse, 1962, p. 4).
C. Spécialemen
1. INFORMAT. ,,Se dit des éléments (terminaux, mémoire...) d'un système informatique considérés comme ayant des propriétés différentes de leurs caractéristiques physiques`` (GDEL). La mémoire virtuelle simule une mémoire plus grande que la mémoire existante (FREEDMAN-SAUTEUR Micro 1985).
2. PHYSIQUE
a) MÉCAN. Travail virtuel (d'une force). Travail que produirait un mobile se déplaçant d'une quantité infiniment petite à un moment donné. Les recherches du regretté M. Duhem sur les Origines de la statique ont permis d'attribuer à Léonard le théorème fondamental de la composition des forces, et une notion très nette quoique incomplète du principe du travail virtuel (VALÉRY, Variété [I], 1924, p. 221).b) MÉCAN. QUANT. Transition virtuelle. ,,Transition quantique réelle d'émission suivie de réabsorption ou d'absorption suivie de réémission, ne respectant pas la conservation de l'énergie`` (MATHIEU-KASTLER Phys. 1983). Particule virtuelle.,,Particule émise (ou absorbée) dans une transition virtuelle et aussitôt réabsorbée (ou réémise)`` ( 1983). .,,Particule émise (ou absorbée) dans une transition virtuelle et aussitôt réabsorbée (ou réémise)`` (MATHIEU-KASTLER Phys. 1983).c) OPT. Foyer virtuel. V. foyer III B 1 a. Image virtuelle. V. image I A 2 b.

II. Subst. masc. sing. à valeur de neutre. Ce qui est en puissance. Le possible, le probable et le virtuel. Être cause, [c'est] (...) accomplir les possibilités de l'univers, substituer partout l'actuel au virtuel, conférer à ce qui est déjà toute l'extension dont il est capable et qui lui est possible; d'un mot, c'est servir d'instrument à l'œuvre créatrice (...) et c'est aider l'univers du devenir qui en résulte à se réaliser (GILSON, Espr. philos. médiév., 1931, p. 150).

Prononc. et Orth.: []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. a) 1477-81 philos. " relatif à une faculté de l'âme " (Le Somme abregiet de theologie, éd. Chr. Michler, p. 136: [l'âme connaît Dieu] par intelligence, c'est a dire par icelle excellence virtuele); b) 1760 subst. (BONNET, Essai analytique sur les facultés de l'âme, chap. 15, p. 169: le virtuel de ces Effets); 2. 1526 " qui a de la vertu, de la puissance " (J. BOUCHET, Opuscules du Traverseur, sign. F 7 vo ds GDF. Compl.: par acte virtuel). B. 1. 1480 méd. " qui n'est qu'en puissance " (Le Regime pour conserver et garder la santé du corps humain, éd. P. Willett Cummins, 45 ro: chaleur victuale [sic] (du vin)); 1534 (Le Guidon en françoys, 200a ds Rom. Forsch. t. 32, p. 182: chaleur actuelle [...] chaleur virtuelle et potentialle [attest. non retrouvée ds l'éd. de 1503]); 2. a) 1717 mécan. vitesses virtuelles (J. : par acte ). 1480 méd. " qui n'est qu'en puissance " (, éd. P. Willett Cummins, 45 r: chaleur [sic] (du vin)); 1534 (, 200a ds t. 32, p. 182: chaleur actuelle [...] chaleur et potentialle [attest. non retrouvée ds l'éd. de 1503]); 1717 mécan. (J. BERNOULLI, let., 26 janv., citée in P. VARIGNON, Nouv. mécanique ou statique, t. 1, 175 ds QUEM. DDL t. 41); 1799 principe des vitesses virtuelles (P. S. t. 41); 1799 (P. S. LAPLACE, Traité de mécanique céleste, t. 1, p. 41); 1740 force virtuelle (Marquise DUCHÂTELET, Institutions de phys., p. 399 ds QUEM. DDL t. 41, s.v. force morte: ces mots de Force morte, ou Force virtuelle, et de Force vive); 1858 moment virtuel ( t. 41, : ces mots de Force morte, ou Force , et de Force vive); 1858 (CHESN.); 1873 travail virtuel (LITTRÉ); b) 1964 travail virtuel " somme des travaux élémentaires accomplis par les forces appliquées à un système de solides soumis à des déplacements fictifs ou virtuels " (ROB.); 3. 1757 opt. foyer virtuel (Encyclop., s.v. foyer); 1859 image virtuelle (L'Année sc. et industr., 3e année, t. 1, p. 99: chacune de ces images, virtuelles pour ainsi dire, est vue par chacun des deux yeux de l'observateur); 1872 image virtuelle (LITTRÉ Add., s.v. image); 1964 point virtuel (, ); 1964 (ROB.); 1964 objet virtuel (Lar. encyclop.); 4. 1963 phys. atom. (L. DEBROGLIE, Bases interprét. mécan. ondul., p. 2: échange de photons virtuels); 1964 état, niveau virtuel d'un noyau; processus virtuel de l'émission d'une particule (ROB.); 1964 quantum virtuel (Nucl.); 5. 1972 informat. mémoire virtuelle (M. GINGUAY, Dict. d'informat. fr.-angl., Paris, Masson, s.v. mémoire). Empr. au lat. médiév. et scolast. virtualis " virtuel, potentiel " (mil. XIIe s., s., ISAAC DE L'ÉTOILE, De anima ds BLAISE Latin. Med. Aev.; ; XIIIe s. ds Thomas-Lexikon 1895), dér. du lat. class. virtus (vertu*). En angl. virtual est att. dès 1398 sous la forme vertual (ds NED); en opt. 1704 virtual focus, 1831 virtual image (ibid.); en phys. atom. 1931 virtual level (ds NED Suppl.2) et en informat. 1959 virtual memory (ibid.). Fréq. abs. littér.: 253. Fréq. rel. littér.: s. ds 1895), dér. du lat. class. (*). En angl. est att. dès 1398 sous la forme (ds ); en opt. 1704 , 1831 (); en phys. atom. 1931 (ds ) et en informat. 1959 (). 253. XIXe s.: a) 129, b) 47; s.: a) 129, b) 47; XXe s.: a) 289, b) 765. s.: a) 289, b) 765.
1983).. V. III B 1 a. . V. I A 2 b.
. Travail que produirait un mobile se déplaçant d'une quantité infiniment petite à un moment donné. Origines de la statique (
Qui est à l'état de simple possibilité ou d'éventualité. Synon. . (
Qui existe sans se manifester. Synon. . . essenceêtre nature (P.
1983). .,,Particule émise (ou absorbée) dans une transition virtuelle et aussitôt réabsorbée (ou réémise)`` ( 1983).. V. III B 1 a. . V. I A 2 b.
 
Sans doute, l’article est un peu long mais au moins, il montre que jamais virtuel ne signifie inexistant. Bien mieux, on apprend même ce qu’est la mémoire virtuelle… Et n’en déplaise au journaleux du début, si la mémoire est virtuelle, ce n’est pas la mémoire qui est inexistante, sinon il n’aurait pu écrire son tissu d’âneries sur son ordinateur, mais la barette-mémoire…
Donc, si virtuel ne signifie pas inexistant mais en puissance, je pense qu’effectivement il peut s’appliquer aux relations sur les sites de rencontre.
Car, qu’on le veuille ou non, les internautes qui correspondent sont bien réels, faits de chair et de sang. Les écrits, même sous forme de courriels sont bien réels et qu’importe qu’ils prennent une autre forme que la lettre classique : elle-même avait détrôné les parchemins du moyen age ou les tablettes de l’antiquité… à cela on m’oppose le mode d’acheminement… en quoi est-il différent de la poste, sinon par sa vitesse ? Il n’est pas manuscrit ? Le télégramme ne l’était pas non plus !
Alors on oppose les émotions : il ne serait pas possible de ressentir de vraies émotions, de vrais sentiments sans voir et toucher la personne, ce serait un phénomène nouveau lié au modernisme et par-là quelque peu contre nature… Pourtant, il est loin d’être nouveau, même s’il n’a jamais connu une telle ampleur, et il a préexisté à l’informatique. Quelques exemples ? Les marraines de guerre ou de prisonniers qui ont suscité bien des idylles et bien des mariages… Et souvenez-vous des correspondantes étrangères que nous avions au collège et au lycée… Il n’était pas rare que les échanges finissent en mots tendres et en chagrins bien réels…
Alors, faute de prouver le coté irréel, on se rabat sur le mensonge : c’est virtuel (entendez, inexistant) puisqu’il y a des gens qui mentent qui trichent ! Ce serait peut-être probant si les gens ne mentaient jamais dans la vie traditionnelle… Si jamais un homme marié n’avait glissé son alliance dans sa poche avant d’aller en boîte ! Si les femmes avouaient toujours leur age véritable… si la séduction n’était jamais une parade nuptiale, à l’image des paons qui déploient leur plumage ou des pigeons qui gonflent leur jabot en marchant sur la pointe des pattes pour paraître plus grands… Et je me souviens d’avoir entendu sur les bancs de la fac de droit, cet adage ancien, expliquant qu'en matière de mariage, le dol n’était pas retenu comme motif de nullité et dont la rédaction m’a toujours paru savoureuse : "en matière de mariage, trompe qui peut " !
Nous reviendrons prochainement sur la facilité de se cacher derrière l’anonymat. C’est vrai qu’Internet offre des possibilités importantes à des individus de moralité douteuse… Mais l’occupation et la libération ont largement démontré avec les lettres de dénonciation anonymes qu’il n’est pas besoin à l’homme d’avoir des technologies avancées : il lui suffit d’une occasion.
Non, les relations ne sont pas virtuelles au sens souvent entendu : elles sont bien réelles, comme parfois les désespoirs de ceux qui ont été trompés où les joies de ceux qui ont abouti dans leur recherche. Prétendre le contraire est pernicieux : c’est faire croire qu’il ne s’agit que d’un jeu, coupé de la réalité. C’est donner libre cour a tous les prédateurs qui ne cherchent que des aventures et pour cela parlent d’amour à des gens qui ont la faiblesse d’y croire. Alors ils rebellent : " ça n’existe pas, tous les coups sont donc permis puisque c’est virtuel "
Relations virtuelles, oui, parce que potentielles, en puissance. Mais sans oublier qu’il y a des hommes et de femmes, bien réels dans leur corps et leurs sensibilités, souvent fragilisés par leur " passé tout cabossé " qui eux ne veulent pas jouer, qui ont envie d’y croire.
Alors, retrouvons le vrai sens de virtuel, pour la pureté de la langue mais surtout pour ne pas jouer les apprentis sorciers en banalisant les comportements que nous voulons dénoncer. Cela évitera à certains de ne se sentir aucune responsabilité dans ce qui arrive au prétexte que cela n’existe pas, puisque c’est " virtuel ".
 

Publié dans Sites de rencontre

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S
Je ne sais pas pourquoi mais les lettres de ton site sont trop claires, comme diluées, et j'ai du mal à lire.  Je reviendrais lire ton site lundi car là je m'en vais. Bonne fin de semaine à toi.
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P
cCest exact... les lettres sont devenues ainsi quand j'ai changé de modèle de désign. J"ai pensé que cela faisait partie du style. Il st possible que ce soit désagréable à la lecture mais je ne m'en rends pas bien compte, d'autant que mon expérience des blogs se limite à quinze jours...<br /> J'ai aussi jeté un coup d'oeil sur ton blog mais j'y retournerais demain, vue l'heure tardive !<br />